NOTES
Tout ce paragraphe et les deux qui suivent proviennent directement de la notice de Guizot (ouvrage cité p. XXXIV et suiv.), qu'il vaut la peine de reproduire tout au long pour en apprécier la réécriture par Hugo:
« Plus qu’en toute autre contrée la poésie s’unit, dans l’ancienne histoire d’Angleterre, aux événements importans: elle introduit Alfred sous les tentes des Danois; quatre siècles auparavant, elle avait fait pénétrer le Saxon Bardulph dans la ville d’York, où les Bretons tenaient son frère Colgrim assiégé; soixante ans, elle accompagne Awlaf, roi des Danois, dans le camp d’Athelstan; au douzième siècle, on lui fera honneur de la délivrance de Richard-Cœur-de-Lion. Ces vieux récits et tant d’autres, quelque douteux qu’on les suppose, prouvent du moins combien étaient présents à l’imagination des peuples l’art et la profession du ménestrel. Un fait plus moderne atteste l’empire que ces poëtes populaires exercèrent long-temps sur la multitude. Hugh, premier comte de Chester, avait statué, dans l’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Werburgh, que la foire de Chester serait, pendant toute sa durée, un lieu d’asile pour les criminels, sauf à l’égard des crimes commis dans la foire même. En 1212, sous le règne du roi Jean et au moment de cette foire, Ranulph, dernier comte de Chester, voyageant dans le pays de Galles, fut attaqué par les Gallois et contraint de se retirer dans son château de Rothelan où ils l’assiégèrent. Il parvint à informer de sa situation lord Roger ou John de Lacy, constable de Chester; celui-ci intéressa à la cause du comte les ménestrels qu’avait attirés la foire, et ils échauffèrent si bien, par leurs chants, cette multitude de gens sans aveu réunis alors à Chester sous la sauvegarde du privilège de Saint-Werburgh, qu’elle se mit en marche, conduite par le jeune Hugh de Dutton, intendant de lord Lacy, pour aller délivrer le comte. Il ne fut pas nécessaire d’en venir aux mains; les Gallois, à la vue de cette troupe qu’ils prirent pour une armée, abandonnèrent leur entreprise; et Ranulph reconnaissant accorda aux ménestrels du comté de Chester plusieurs privilèges dont ils devaient jouir sous la protection de la famille Lacy, qui transféra ensuite ce patronage aux Dutton et à leurs descendans. […]
En 1316, pendant qu’Edouard célébrait à Westminster, avec ses pairs, la fête de la Pentecôte, une femme parée à la manière des ménestrels, et montée sur un grand cheval caparaçonné selon la coutume des ménestrels, entra dans la salle du banquet, fit le tour des tables, déposa sur celle du roi une lettre, et faisant aussitôt retourner son cheval, s’en alla en saluant la compagnie. La lettre déplut au roi, à qui elle reprochait les prodigalités répandues sur ses favoris au détriment de ses fidèles serviteurs; on réprimanda les portiers d’avoir laissé entrer cette femme: Ce n’est pas, répondirent-ils, la coutume de refuser jamais aux ménestrels l’entrée des maisons royales. Sous Henri VI, on voit les ménestrels qui se chargent d’égayer les fêtes, souvent mieux payés que les prêtres qui viennent les solenniser. A la fête de la Sainte-Croix, à Abingdon, vinrent douze prêtres et douze ménestrels; les premiers reçurent chacun quatre pence; les derniers, deux schellings et quatre pence. En 1441, huit prêtres appelés au prieuré de Maxtoke pour un service annuel, eurent chacun deux schellings; les six ménestrels qui avaient eu mission d’amuser les moines réunis au réfectoire, reçurent chacun quatre schellings, et soupèrent avec le sous-prieur dans la chambre peinte, éclairés par huit gros flambeaux de cire, dont la dépense est portée sur les comptes du couvent. »
La suite fait une distinction entre les peuples du midi, dont le climat et les institutions facilitent rencontres publiques et fêtes, et l’Angleterre où ce sont les mœurs qui « prirent de bonne heure ce caractère de publicité et de mouvement qui appelle une poésie populaire ».